samedi 28 septembre 2019

Debussy (Claude)

Claude Debussy

Claude Debussy


J’ai choisi pour illustrer ce musicien une photo prise sur la plage de Trouville. Outre le fait que j’aime énormément cette station balnéaire normande, j’ai souhaité faire un parallèle entre Claude Debussy, le compositeur, et un autre grand artiste, qui a peint de merveilleux tableaux à Trouville, il s’agit du peintre Claude Monet. 

En effet, je trouve que ces deux artistes ont en commun cette capacité à illustrer la nature et à nous emmener dans un monde évocateur de paysages et de voyages, par ce traitement si particulier qui s’adresse à nos sens et que l’on nomme impressionnisme. 

Et, même si certains musicologues ne trouvent pas approprié d’intituler la musique de Debussy d’impressionniste, je me trouve malgré tout entraîné par sa musique dans des paysages, des sensations et des mystères qui doivent tout à la couleur musicale et à cette capacité de Debussy de nous faire entendre une musique très évocatrice. Elle peut d’ailleurs faire penser à des choses totalement différentes d’un individu à l’autre. 


Claude Monet - La plage de Trouville


Claude Debussy est né le 22 août 1862 à Saint-Germain-en-Laye et mort à Paris le 25 mars 1918. Il est certainement un des plus grands génies de la musique et il a incroyablement fait avancer la musique occidentale, qui avait pris un grand retard par rapport à la musique orientale, tant au niveau des gammes utilisées que de l’harmonie et du rythme. 

Certains musicologues estiment même que l’apport de Debussy a été plus important que celui de l’école de Vienne. En effet, Debussy est le premier à prendre de telles libertés avec la tonalité, par exemple à travers l’utilisation de la gamme par tons (gamme composée de six degrés, tous espacés d’un ton) et l’utilisation de différents modes. 

Il prend également de grandes libertés avec le rythme s’affranchissant de la barre de mesure et de la tyrannie du développement classique avec sa capacité à surprendre l’auditeur par des développements inattendus et peu académiques pour l’époque. 

Enfin, Debussy sera un des premiers compositeurs occidentaux à intégrer dans sa musique des influences orientales, telles que celles du gamelan javanais entendu lors de l’exposition universelle de 1889. 

Ne pas oublier non plus que Debussy peut également être considéré comme un précurseur du jazz quand on pense au morceau "Golliwog's Cake-Walk" ("La Marche de la poupée de chiffon") extrait de "Children’s Corner" contemporain des ragtimes de Scott Joplin.

J’ai choisi de vous faire partager mes pages préférées de ce compositeur. J’ai tenté de suivre la chronologie. Etant donné que Debussy a parfois mis du temps à élaborer certaines œuvres, j’ai sélectionné la date de fin de la composition.

En outre, je vous propose une playlist à peu près chronologique des œuvres de Debussy dans les domaines suivants:
  • Le piano: avec, entre autres, la Suite Bergamasque, dont le célèbre "Clair de Lune" si souvent utilisé au cinéma. Quelques extraits de Children's Corner que Debussy a composé pour sa fille Chouchou et de magnifiques Préludes.
  • La musique de chambre est représentée par le Quatuor à cordes, si particulier, et plusieurs sonates, œuvres sublimes dont la plus originale est certainement la sonate pour flûte, alto et harpe qui offre une alliance de timbres pour le moins inusitée.
  • La musique orchestrale compte des chefs-d'œuvre comme le Prélude pour l'après-midi d'un faune, premier jalon de la musique moderne, les Nocturnes avec ce formidable chœur de femmes pour "Sirènes", enfin "La Mer", certainement l'œuvre la plus géniale du compositeur. Pour moi, rien ne surpasse le mystère de la version d'Ernest Ansermet de 1957. On découvrira également avec plaisir des œuvres moins connues comme la Rhapsodie pour saxophone, la Fantaisie pour piano et le ballet pour enfants "La Boîte à Joujoux".
  • La musique vocale: on retrouve le mystère debussyste dans son unique opéra "Pelleas et Mélisande", un drame symboliste sur un livret de Maurice Maeterlinck. On connaît moins ses mélodies. J'ai sélectionné 3 chansons de Bilitis, les Fêtes Galantes et Nuit d'Etoiles par l'incomparable Véronique Gens.



1890 - Suite Bergamasque



En 1890, Debussy compose dans un langage musical neuf et personnel une suite pour piano, évocatrice de la ville italienne de Bergame : la fameuse « Suite Bergamasque ». 

Cette suite est en quatre parties.

Prélude : ce premier mouvement dresse le décor. Il se caractérise par sa fluidité, son archaïsme un peu baroque et son côté un brin nostalgique.

Menuet : cette pièce, délicate, raffinée et pleine d’humour, est comme un clin d’ œil aux musiques du passé. Cela nous rappelle l’admiration de Debussy pour Rameau. Il revisite et réinvente le menuet en utilisant le mode dorien qui donne au morceau un aspect médiéval (à noter que le mode dorien est utilisé fréquemment dans le jazz).

Clair de Lune : il s’agit de mon thème préféré de Debussy, il est inspiré par le poème "Clair de Lune" de Verlaine. L’harmonie est très impressionniste et « liquide ». Cette pièce m’évoque irrésistiblement le tableau de Van Gogh "Nuit étoilée sur le Rhône": la lune, mais également les étoiles, se reflètent dans le fleuve et le font miroiter. 




Ce morceau a été utilisé de très nombreuses fois au cinéma. Je retiens deux films dans lesquels l’utilisation du « Clair de Lune » m’a beaucoup frappé : "Frankie & Johnny" (1991) avec Al Pacino et Michelle Pfeiffer, et une fin de film très émouvante. Et, pour les amateurs de George Clooney, dans le finale de "Ocean’s Eleven" (2001). 

Finale d'Ocean's Eleven:


Une version live par Kathia Buniatishvili:



Une version par Jean-Efflam Bavouzet:



Passepied : inspiré d’une danse ancienne, il s’agit d’un morceau joyeux et rythmé. La pièce est jouée avec des arpèges en staccato (c’est-à-dire avec des notes piquées) à la main gauche, ce qui lui donne un air martial. Vers la fin, Debussy introduit un passage lent, mystérieux et rêveur.
Cette pièce a connu un très grand nombre d’interprétations, je me propose de vous donner mon trio de tête :
  1. La palme revient à Jean-Efflam Bavouzet pour sa fluidité, sa maîtrise et son intonation. Bavouzet est parfait dans Debussy et nous livre certainement un des plus beaux « Clair de Lune ». Il se trouve qu’il a sorti l’intégrale des œuvres pour piano de Debussy ; un incontournable pour les amateurs, récompensé par un Diapason d’Or.
  2. Ensuite, j’ai retenu la version très délicate d’Angela Hewitt, dont l’album sur Debussy m’a très agréablement surpris. A noter qu’elle joue le « Clair de Lune » très lentement.
  3. Enfin, il faut noter la version pleine de nostalgie d’un autre spécialiste de Debussy : Alain Planès.
Il faut également noter deux œuvres très souvent données en couplage avec la Suite Bergamasque, il s’agit des deux arabesques composées en 1888 :

La première arabesque est une délicieuse oeuvre de jeunesse. Elle évoque le côté artistique et ancien de l’arabesque qui est une ligne sinueuse mais également un ornement formé de végétaux stylisés et entrelacés avec des lignes et des lettres. On retrouve ce côté sinueux et délicatement ouvragé dans la musique.



La seconde arabesque est vive et rapide. Elle pourrait presque évoquer un personnage comique. Elle me fait penser aux films muets burlesques.






1893 - Le Quatuor à cordes



En 1893, Debussy compose son « Quatuor à cordes ». Il s’agit de sa première oeuvre de maturité, dans laquelle il souhaite montrer la solidité de ses bases : il utilise, ce qui est très rare chez lui, une forme classique. Il fait appel à des modes grégoriens, à de la musique tzigane, et utilise le principe cyclique (rappel d’un thème commun à tous les mouvements) cher à César Franck. 

Ce quatuor comporte quatre mouvements.
  • Animé et très décidé : Ce mouvement utilise le mode phrygien qui est assez triste. Le premier thème est sérieux, tandis que le second est rêveur. L’ambiance générale est assez tourmentée.
  • Assez vif et bien rythmé : il s’agit d’un scherzo faisant un usage important des pizzicatos. On entend dans ce mouvement un passage mystérieux qui malgré le côté classique de l’oeuvre préfigure l’évolution ultérieure.
  • Andantino, doucement expressif : ce mouvement est un nocturne doucement mélancolique. Il s’agit d’une méditation triste dans un style recueilli avec les instruments en sourdine. L’atmosphère n’est pas sans préfigurer "Pelléas".
  • Très modéré – Très mouvementé : Le début est très lent et calme et rappelle le thème du premier mouvement. On assiste à une accélération progressive jusqu’à atteindre un rythme endiablé. On sent une belle maîtrise de la polyphonie du quatuor à cordes. Le final est enthousiasmant par l’agrégation d’épisodes puissants rappelant le thème cyclique et ses variantes.
Le quatuor Takacs nous en livre une version définitive, avec en couplage la version de référence du quintette pour piano et cordes de César Franck (avec Marc-André Hamelin au piano).

Voici une très bonne version live par le Quatuor Girard:




1894 - Le Prélude à l'après-midi d'un faune / 1899 - Nocturnes


Entre 1892 et 1894, Debussy compose l’oeuvre qui va marquer un tournant majeur dans la musique occidentale. Il s’agit du "Prélude à l’après-midi d’un faune". Inspirée d’un poème de Stéphane Mallarmé, cette oeuvre orchestrale marque la naissance de la musique moderne du XXème siècle. 

Le prélude s’ouvre sur une arabesque chromatique jouée à la flûte qui représente le faune, un être mi-homme mi-bouc. (Le faune est une créature de la mythologie romaine, il est l’équivalent du satyre chez les grecs, très souvent associé au dieu Pan qui joue d’une flûte faite de roseaux). L’oeuvre évoque les pensées et les rêves du faune. 

Dans cette oeuvre Debussy utilise des harmonies délicates qui s’éloignent des canons de la musique romantique. Ici ce qui importe à Debussy c’est le timbre des instruments, et leurs alliances : il nous emmène dans un univers féerique et onirique peuplé de créatures mythologiques. 

Voici ce que Debussy écrit sur son oeuvre : « La Musique de ce prélude est une très libre illustration du beau poème de Mallarmé. Elle ne désire guère résumer le poème mais veut suggérer les différentes atmosphères au milieu desquelles évoluent les désirs, et les rêves, par cette brûlante après-midi ».

L’une des meilleures versions actuelles de cette oeuvre est celle de François-Xavier Roth à la tête de l’orchestre « Les Siècles », elle est couplée avec Jeux et Nocturnes. Il se trouve que la version donnée ici de « Nocturnes » est également excellente. Cet album a d’ailleurs été récompensé par un Choc de Classica.

Voici le prélude à l'après-midi d'un faune dirigé par François-Xavier Roth, cette fois à la tête du London Symphony Orchestra:

Quelques mots donc sur « Nocturnes ». Composés entre 1897 et 1899, il s’agit d’une de ses œuvres symphoniques majeures. C’est un triptyque qui montre la richesse des harmonies debussystes et leur pouvoir d’évocation. Les deux premiers volets sont purement orchestraux, ce qui fait l’originalité du troisième volet est l’intervention d’un chœur de femmes. 

Etant parfois difficile de réunir à la fois l’orchestre et le chœur, l’interprétation de "Nocturnes" est souvent amputée de ce dernier volet, ce qui est très dommage.
  • I – Nuages : Dans le commentaire de Debussy : « C’est l’aspect immuable du ciel, avec la marche lente et mélancolique des nuages, finissant dans une agonie grise, doucement teintée de blanc ». Et il s’agit effectivement d’une pièce en demi-teinte, avec une évocation toute en finesse d’une atmosphère vaporeuse qui n’est pas sans annoncer l’ambiance de "Pelléas".
  • II- Fêtes : Ce deuxième volet est beaucoup plus vif, joyeux et lumineux. Le rythme est dansant, il évoque un cortège passant dans une fête. Cette pièce me rappelle toujours la danse finale de « Daphnis et Chloé » de Ravel, avec ses crescendos et ses emportements, et le martèlement de la caisse claire évoque un peu le Boléro.
  • III – Sirènes : Le dernier volet, avec orchestre et chœur de femmes, est absolument somptueux et remarquable par sa complexité poly-rythmique. Nous sommes littéralement envoûtés par ces sirènes séductrices.
Voici une excellente version live des deux premiers mouvements suivis d'extraits d'Images par le chef espagnol Pablo Heras-Casado:



1902 - Pelléas et Mélisande


C’est entre 1893 et 1902 que Debussy compose son opéra « Pelléas et Mélisande » sur un livret de Maurice Maeterlinck. L’accueil du public est plutôt positif, mais la critique reste partagée. En effet, on peut supposer que l’oeuvre a pu surprendre, car elle tourne carrément le dos au bel canto que Debussy détestait. 

Aucun grand air dans cet opéra, mais une déclamation continue qui permet de comprendre distinctement la plupart des paroles. Debussy, pour ce drame symboliste, a choisi de nous entraîner dans les brumes d’un monde onirique. Il a composé, comme il le dit: « un opéra après Wagner, et non pas d’après Wagner », une oeuvre hors du temps et unique en son genre. 

L’opéra est une transposition du drame de Tristan et Yseult, sur l’amour entre deux jeunes gens qui est rendu impossible par la présence d’un mari âgé et jaloux. 

Au moment où Pelléas avoue son amour à Mélisande et l’embrasse, il est tué par Golaud, mari de Mélisande et demi-frère de Pelléas. Après la mort de Pelléas, Mélisande dépérit. Golaud essaye en vain de savoir quel lien exact elle entretenait avec lui ; mais celle-ci meurt avant d’avoir répondu.

Ma version favorite reste celle de Karajan à la tête du Berliner Philharmoniker. Il réussit à créer une ambiance mystérieuse et diaphane. 

La prestation de José Van Dam en Golaud est superlative par la qualité de sa diction et son autorité. J’aime également la sonorité claire et juvénile de Richard Stilwell et la fragilité de Frederica von Stade qui colle bien à son personnage à la fois vulnérable et énigmatique. 

A noter pour l’anecdote que Karajan laissait entendre que Pelléas était son opéra préféré. 

Comme autre choix possible, je recommande la version d'Ansermet. Je la trouve moins entourée de mystère que celle de Karajan, mais il faut reconnaître qu’Ansermet est excellent dans Debussy. 

Voici une vidéo d'une suite symphonique extraite de l'opéra interprétée par le Zagreb Music Academy Symphony Orchestra qui retranscrit bien les couleurs et l'ambiance de l'oeuvre:



Voici un extrait du début de l'opéra interprété par l'orchestre Les Siècles dirigés par François-Xavier Roth, et Alexandre Duhamel dans le rôle de Golaud:





1905 - La Mer



Entre 1903 et 1905, Debussy compose son oeuvre la plus emblématique et certainement une des plus belles réussites de la musique de ce XXème siècle naissant : « La Mer ». 

Les musicologues reconnaissent que cette partition est immensément riche et que l’analyse en est fort complexe. N’étant pas musicologue, je me contenterai donc de vous livrer mes impressions. 

Tout d’abord, visuellement, j’aime toujours associer à cette oeuvre la fameuse estampe japonaise de Hokusai « La grande vague de Kanagawa » qui exprime la force des flots.

Hokusai - La grande vague de Kanagawa


La Mer, que Debussy a voulue comme une suite symphonique, est en trois parties :

I - De l’aube à midi sur la mer : Ce mouvement se caractérise par une double évocation : celle du flux et du reflux de la mer et, en parallèle, celle du lever du soleil dont la lumière se fait de plus en plus éclatante au fur et à mesure de l’avancement de la journée.

II - Jeux de vagues : Je cite Jean Barraqué : « Le second mouvement propose une pulvérisation sonore telle que le temps musical en devient presque insaisissable ». Cela m’évoque en peinture le pointillisme ; le miroitement des harpes, la légèreté des timbres, les harmonies impressionnistes. Cela correspond tout à fait au tableau de Seurat : « La plage Le Bas Butin à Honfleur ».

Seurat - La plage Le Bas Butin à Honfleur


III - Dialogue du vent et la mer : Le troisième volet prend une véritable ampleur dramatique : plus qu’un dialogue, il s’agit d’une lutte entre le vent et la mer. La lutte fait rage, on craint fort au milieu de cette mer déchaînée. Le final enjoué nous laisse entendre une nature triomphante.

Je connais plus de quinze versions de cette oeuvre somptueuse, j’ai souhaité, après de nombreuses écoutes, vous faire part de mes versions préférées:
  • Sans conteste, la version Ansermet de 1957 est idéale (attention Ansermet a réalisé plusieurs versions), tout y est parfait, les harmonies, le rythme soutenu, les timbres somptueux de l’orchestre, et une prise de son exceptionnelle. (A noter qu’Ansermet a sorti un excellent coffret "Complete Orchestral Works", mais il contient la version de 1964 de "La Mer" qui me semble moins bonne que celle de 1957). 
  • Munch à la tête du Boston Symphony Orchestra : Pour l’énergie, la beauté des timbres et l’aura de mystère qui nimbe l’interprétation.
  • Parmi les interprétations récentes, celle de Gustavo Dudamel à la tête du Los Angeles Philharmonic m’a particulièrement séduit pour sa justesse, la finesse des timbres et l’ambiance impressionniste et mystérieuse. 
  • Citons enfin, de manière à vous donner un choix plus large, d’autres versions qui méritent d’être saluées : Ashkenazy dirigeant le Cleveland Orchestra, Abbado à la tête du Lucerne Festival Orchestra, et enfin Boulez avec le Cleveland Orchestra.
Pour vous donner un aperçu de ce chef-d'oeuvre, voici une très belle version interprétée par Claudio Abbado:




1907 - Images / 1908 - Children's Corner



Composés entre 1905 et 1907 les deux livres des Images sont constitués chacun de trois pièces.

Images I (1905)

  1. Reflets dans l’eau : Par petites touches Debussy compositeur se fait peintre pour évoquer les reflets que font sur l’eau les rayons de lumière.
  2. Hommage à Rameau : Debussy avait une grande admiration pour Rameau et les formes du passé. Dans cet hommage, Debussy est un peu grandiloquent (ce qui est rare chez lui), mais conserve ce qu’il faut de retenue et de noblesse antique.
  3. Mouvement : Debussy recommandait « Il faut que ça tourne dans un rythme implacable ». Il s’agit d’une pièce rapide pleine de fantaisie dans laquelle on assiste à une giration sans fin.

Images II (1907)

  1. Cloches à travers les feuilles : « Le glas qui sonne traverse de village en village les forêts jaunissantes dans le silence du soir ». Voilà ce qu’a voulu évoquer Debussy : les cloches à la main gauche et une harmonie complexe pour les forêts automnales.
  2. Et la lune descend sur le temple qui fut : Cette pièce est d’inspiration exotique et lunaire. Sous des harmonies subtiles de quintes et de secondes, Debussy nous livre une mélodie complexe et moderne. 
  3. Poissons d’or : Debussy s’est librement inspiré d’un panneau japonais en laque noire qu’il possédait et qui représentait des poissons de nacre et d’or. Il s’agit d’un scherzo d’une grande virtuosité qui exprime les zigzags nombreux et rapides effectués par les poissons.
Voici un document précieux, la version d'Arturo Benedetti Michelangeli de Reflets dans l'eau:




Children's Corner

Après les Images, d’une grande richesse instrumentale et harmonique, et avant de s’élancer à la conquête des Préludes, Debussy fait une pause et compose, entre 1906 et 1908, pour sa fille Chouchou « Children’s Corner ». 

Ce « coin des enfants » est certainement une des ses œuvres pour piano les plus faciles d’accès.
  • Doctor Gradus ad Parnassum : exercice technique parodiant gentiment ceux de Clementi, ce morceau sert d’introduction à cette série de pièces ludiques et débridées. Il s’agit ici d’une sorte de toccata pleine de fantaisie.
  • Jimbo’s Lullaby : c’est une douce berceuse pour un gros éléphant en peluche. Le rythme évoque la marche d’un éléphant un peu pataud.
  • Serenade for the doll : Debussy compose pour la poupée une sérénade aux parfums d’Espagne, le piano imitant la guitare.
  • The snow is dancing : la musique évoque le tournoiement des flocons qui tombent. La pièce est légèrement mélancolique.
  • The little shepherd : pièce douce et tendre qui évoque l’idylle d’un petit berger.
  • Golliwogg’s Cake-Walk : Debussy finit sa suite avec ce morceau endiablé qui traduit la danse saccadée et mécanique d’une poupée noire. Il évoque pour la première fois le jazz. On pense au ragtime de Scott Joplin qui compose à peu près à la même époque.
Voici la version d'Arturo Benedetti Michelangeli:


Je voudrais également citer un témoignage sonore exceptionnel il s’agit du dernier album de l’intégrale Warner «The Complete Works». Il nous permet d’entendre, avec une qualité sonore incroyable, Debussy lui-même interprétant quelques préludes et Children’s Corner en entier. Son interprétation est surprenante: par exemple dans Golliwogg’s Cake-Walk, où il joue certains passages très vite et d’autres très lentement, on n’a pas l’habitude d’entendre cela joué ainsi !

Voici la version audio de Children's Corner par Debussy lui-même en 1913:





1912 - Préludes

Composés entre 1909 et 1912, les Préludes sont les fruits de la maturité de Debussy, l’aboutissement de ses recherches au piano sur l’harmonie, les rythmes et l’utilisation de différents modes. Ils se caractérisent par leur pouvoir d’évocation et leurs ambiances particulières.

Préludes du livre I (1909-1910)



Danseuses de Delphes : lente sarabande évoquant trois danseuses, fragment d’une sculpture du temple de Delphes.

Voiles : Debussy utilise la gamme par tons qui donne à ce morceau son côté intemporel. Il évoque de blanches voiles glissant sur une eau calme.

Le vent dans la plaine : le piano évoque le souffle continu du vent par un fond d’arpèges.

Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir : sont des vers de Baudelaire. Debussy en tire une atmosphère voluptueuse où l’alchimie harmonique atteint un grand raffinement. Cette pièce se caractérise par des notes graves et des phrases laissées comme en suspend.

Les collines d’Anacapri : est une page d’inspiration italienne. Anacapri se trouve sur l’île de Capri dans la baie de Naples. Ce prélude évoque une tarentelle, une certaine gaité, un côté festif.

Des pas dans la neige : la musique est lente, entrecoupée de longs silences, les notes s’égrennent une à une pour évoquer un monde silencieux, calme, solitaire.

Ce qu’a vu le vent d’ouest : ce prélude est âpre et agité, très évocateur de l’océan et de ses tempêtes, par des notes obstinées martelées dans l’aigu. 

La fille aux cheveux de lin : est aux antipodes du morceau précédent. Calme et serein, il illustre une soeur celtique de Mélisande.

La sérénade interrompue : selon Manuel de Falla : « Deux donneurs de sérénade se disputent les faveurs d’une belle qui épie le galant tournoi ». La musique évoque une Espagne rêvée.

La cathédrale engloutie : il s’agit probablement du sommet des Préludes, voire de toute la musique pour piano de Debussy. Ce morceau évoque la légende de la ville d’Ys. Il s’agit d’un prélude très développé et d’une puissance exceptionnelle. Cette cathédrale impressionnante et impressionniste me fait penser à Monet et à son cycle des cathédrales de Rouen.

Claude Monet - La cathédrale de Rouen

La danse de Puck : portrait musical du lutin du « Songe d’une nuit d’été » de Shakespeare, la musique est espiègle comme dans le Golliwogg’s Cake-Walk de Children’s Corner.

Minstrels : ce morceau fait à nouveau appel au jazz. Il est très humoristique et fait un peu penser aux musiques des films muets comiques.

Préludes du livre II (1910-1912)


Brouillards : Debussy excelle dans ces ambiances embrumées et cotonneuses.

Feuilles mortes : pièce lente et mélancolique où Debussy laisse transparaître sa hantise du temps qui passe et de la mort dans cette ambiance automnale aux harmonies concentrées.

La puerta del vino : cette pièce est inspirée par une carte postale envoyée par Manuel de Falla à Debussy et représentant l’Alhambra de Grenade. Sur un rythme obsédant de habanera, Debussy nous livre une vision âpre et passionnée de la vieille citadelle des Maures inondée de lumière.

Les fées sont d’exquises danseuses : ce scherzo, d’une grande vivacité et d’une grande finesse, nous emmène dans un monde féerique peuplé d’êtres fantastiques qui tournoient avec aisance.

Bruyères : morceau aux intonations celtiques, il nous livre les impressions pastorales d’un berger entouré de ces buissons qui poussent sous les grands pins.

General Lavine – Eccentric : évoque le jongleur américain Edward La Vine qui jouait du piano avec les orteils. Le piano illustre un jazz-band jouant un ragtime interrompu par les pirouettes du fantaisiste.

La terrasse des audiences au clair de lune : il s’agit du dernier prélude par ordre de composition. Debussy y évoque une vision onirique de l’Inde et cette terrasse où les audiences n’ont lieu que la nuit, à moins que ce ne soit la lune elle-même qui donne audience, elle qui se reflète « dans l’étang aux lotus » comme dit le poète chinois.

Ondine : nous voici repartis dans un monde féérique que Debussy sait tellement bien traduire avec la fluidité de l’élément liquide.

Hommage à Samuel Pickwick Esq. P.P.M.P.C : Debussy se moque gentiment du sympathique héros de Dickens, avec au début une citation du « God save the King » et la description d’un personnage bonhomme, distrait et fier de lui-même.

Canope : est une pièce magnifique et mystérieuse, empreinte de chromatisme et d’orientalisme. C’est une ode funèbre, le canope désignant une urne funéraire égyptienne.

Les tierces alternées : il s’agit plus d’une étude que d’un prélude. C’est un mouvement perpétuel en doubles croches régulières, dans lequel alternent les touches noires et blanches qui produisent un effet sonore bigarré.

Feux d’artifice : Debussy termine son deuxième livre des Préludes avec la pièce la plus développée, qui est une véritable pyrotechnie pianistique et virtuose, on pense à Liszt. Mais son côté extrêmement novateur est qu’elle est athématique, atonale et sa structure est informelle.

Pour toutes ces pièces pour piano, voici mon trio de tête :
  1. Arturo Benedetti Michelangeli est tout simplement insurpassable, tout coule de source.
  2. Jean-Efflam Bavouzet, dans son intégrale, est toujours excellent et son niveau est globalement très proche de celui de Michelangeli, avec une approche des oeuvres relativement similaire.
  3. Alain Planès traduit les ambiances debussystes d’une façon un peu plus sèche et moins dynamique que Michelangeli, mais sa version reste très attachante.
Voici le premier livre des préludes par Michelangeli:



Les danseuses de Delphes par Arturo Benedetti Michelangeli:



1915 - Sonate No. 1 pour violoncelle et piano


Chefs-d'oeuvre de la fin de la vie de Debussy, les trois sonates sont le testament chambriste du compositeur qui a voulu rendre un hommage aux maîtres français du XVIIIème siècle, en particulier Rameau. 

La sonate pour violoncelle et piano (1915) est un mélange dosé entre humour sarcastique et poésie mélancolique. Le rôle principal est dévolu au violoncelle véritable « Pierrot fâché avec la lune ». 

La sonate est en trois mouvements.
  • I – Prélude : Ce mouvement est rêveur et mélancolique avec un passage au milieu agité et inquiet.
  • II – Sérénade : Le violoncelle joue en pizzicatos et portandos sur un rythme de habanera évoquant très distinctement une guitare espagnole. Le ton est chantant et ironique.
  • III – Finale : Le mouvement débute par une très belle mélodie au violoncelle, avec toujours de relents d’Espagne, et se termine par une sorte de course-poursuite enjouée du violoncelle, accompagné par un piano qui répète souvent les phrases musicales de celui-ci.
Je recommande la version imparable de Jean-Guihen Queyras, avec son violoncelle moelleux, dynamique et incisif, accompagné idéalement par Alexandre Tharaud au piano.

Voici une autre version d'anthologie, celle de Rostropovich et Britten:


1915 - Sonate No. 2 pour flûte, alto et harpe


Composée la même année que la sonate précédente, cette sonate à l’instrumentation originale est voulue « affreusement mélancolique ». Debussy dit même : « Je ne sais pas si l’on doit en rire ou en pleurer, peut-être les deux ? »

I – Pastorale : La flûte, déjà superbement utilisée par Debussy dans le mystérieux morceau Syrinx et dans le Prélude à l’après-midi d’un faune, introduit ce mouvement mystérieux qui m’évoque irrésistiblement le tableau « La charmeuse de serpents » du Douanier Rousseau. Une pièce exotique et étrange.

Le Douanier Rousseau - La Charmeuse de Serpents

II – Interlude – Tempo di minuetto : l’ambiance de ce mouvement est ancienne, la flûte virevolte, l’ensemble est plutôt vif et léger, avec plus de recueillement vers la fin.

III – Finale : ce mouvement est résolument vigoureux. La flûte, qui mène la danse, est vive et gaie, la harpe lui donne la réplique. La fin est enjouée malgré un rappel du thème plus mélancolique du premier mouvement.

Les meilleurs interprètes sont Emmanuel Pahud à la flûte, Gérard Caussé à l’alto et Marie-Pierre Langlamet à la harpe. Cette sonate est extraite du meilleur album de musique de chambre de Debussy que je connaisse, il s’agit de l’album « Debussy – Sonates & Trio » chez Erato.

Voici une version live interprétée par Pahud, Deyneka et Khouri:



1917 - Sonate No. 3 pour Violon et Piano


Debussy est malade et exténué quand il termine sa partition en février-mars 1917 au prix d’un gros effort. Cette superbe sonate est en trois mouvements.
  • I – Allegro vivo : Le premier thème, somptueux, est mélancolique, parfois passionné. Le deuxième thème apparaît avec un accompagnement du piano évoquant un élément liquide. La conclusion est abrupte.
  • II – Intermède – Fantasque et léger : on entend un peu de la fantaisie de ses pièces burlesques comme dans le prélude « La sérénade interrompue » avec une évocation lointaine de l’Espagne.
  • III – Finale – Très animé : Debussy décrit cette pièce comme le « Jeu simple d’une idée tournant sur elle-même comme un serpent qui se mord la queue ». Elle démarre par une phrase rapide énoncée au violon, suivie par une évocation nostalgique, puis un épisode burlesque, enfin des élans brisés, ces différents épisodes étant repris en boucle. Le mouvement se termine par le piano dans le grave, le violon cherchant une voie de salut et la trouvant soudain.
Mon trio de tête pour cette sonate est :
  1. Renaud Capuçon, violon, et Bertrand Chamayou, piano, sont dynamiques et colorés. C’est la version qui donne le plus de relief à cette sonate. Elle est extraite du remarquable album déjà cité ci-dessus "Debussy – Sonates & Trio" chez Erato.
  2. Tatiana Samouil, violon, et David Lively, piano (extrait de l’album « Clair de Lune ») : L’archet de Tatiana Samouil est léger, nostalgique et passionné. Dans cette version le violon domine un peu le piano.
  3. Isabelle Faust, violon, et Alexander Melnikov, piano (extrait de l’album « Les trois sonates » chez Harmonia Mundi). On remarque dans cette version la distinction et le phrasé d’Isabelle Faust, et l’accompagnement savamment dosé d’Alexander Melnikov.
Voici une version interprétée par Alina Pogostkina, violon et Jérôme Ducros, piano:



Cette chronique termine cet article dédié à Debussy, qui comme vous l’avez compris est cher à mon cœur. Le but est de vous donner envie d’écouter et de vous laisser emporter dans le monde d’harmonies de Debussy, et bien sûr de ne pas vous limiter aux œuvres citées ici.