vendredi 10 mars 2023

Szymanowski (Karol)

 

Karol Szymanowski


Karol Szymanowski


Karol Szymanowski est un compositeur, pianiste et musicographe polonais né le 6 octobre 1882 à Tymochivka (alors en Russie, aujourd'hui en Ukraine) et mort le 29 mars 1937 à Lausanne (Suisse).

Dans sa famille il baigne dans une ambiance musicale. Dès son enfance il étudie le piano avec son père, puis avec son oncle, et s'essaie de bonne heure à la composition.

En 1905 il fonde, avec Fitelberg, Rozycki et Szeluto, le groupe "Jeune Pologne" qui reçoit le soutien actif des pianistes Arthur Rubinstein et Heinrich Neuhaus, et du violoniste Paul Kochanski.

Cherchant à s'enrichir de la découverte de contrées toujours plus dépaysantes, Szymanowski réalise de nombreux périples au cours des années 1908-1914. Il séjourne en Italie, en Afrique du Nord, en Sicile, en Egypte, mais également en France, où il est influencé par Debussy.

Il donne plusieurs concerts aux États-Unis, où Pierre Monteux dirige l'une de ses symphonies à Boston, et à Paris, où il rencontre les célébrités musicales de l’époque (Maurice Ravel, Alfred Cortot…).

Au cours de ses années d’enseignement, Szymanowski sacrifie un peu sa carrière de compositeur. 

Tuberculeux depuis son plus jeune âge, il meurt le 29 mars 1937 à Lausanne, à l'âge de 54 ans. Son corps repose au Panthéon des Grands Polonais, à l'église Saint-Michel-et-Saint-Stanislas de Skałka, à Cracovie.

Il nous laisse un peu plus de 60 œuvres dans la plupart des domaines musicaux.

Ce qu'il y a de très intéressant chez Karol Szymanowski, c'est qu'il existe chez lui trois périodes créatrices distinctes (les années précisées ci-dessous sont indicatives et ne sont pas à prendre pour des dates strictes):
  1. De 1900 à 1914, une période romantique où le compositeur est influencé en particulier par Chopin, mais également par Richard Wagner, Richard Strauss et Max Reger.
  2. De 1914 à 1922, une période marquée par un certain éclectisme, influencée par ses voyages en Méditerranée et en Orient. Elle est placée sous le sceau de l'impressionnisme, de l'orientalisme et de la mythologie. Le compositeur est fasciné par la musique de Debussy, Ravel, Stravinsky et certainement également par le symbolisme de Scriabine.
  3. De 1922 à 1934, le compositeur renoue avec ses propres racines et s'intéresse beaucoup à la musique populaire polonaise.
Szymanowski est la personnalité centrale du renouveau de l'école polonaise au début du XXe siècle. Assumant les influences postromantiques, symbolistes et impressionnistes, il a élaboré un langage harmonique et contrapuntique souvent complexe, raffiné et sensuel, qui a ouvert la voie à l'école polonaise contemporaine.

Ce que j'aime le plus chez Szymanowski ce sont les ambiances chatoyantes, aux harmonies mystérieuses, surtout de sa seconde période, et la magnifique utilisation qu'il fait des voix.

A noter que je propose un large panorama de la musique classique polonaise depuis la renaissance jusqu'à la période contemporaine, mêlant des compositeurs très connus et d'autres moins connus qui méritent une découverte, dans une playlist chronologique. On retrouve dans cette sélection plusieurs œuvres de Karol Szymanowski.


Dans cet article, j'ai préparé une anthologie de sa musique en 10 œuvres emblématiques. Les œuvres sont classées par ordre chronologique de composition.


Première Période: 1900-1914


1907 - Symphonie No. 1 Op. 15





La Symphonie No. 1 en fa mineur op. 15 est une œuvre inachevée qui a été composée entre 1906 et 1907. Prévue pour avoir trois mouvements, elle ne comporte finalement que deux mouvements achevés: le premier Allegro Pathétique et le troisième Allegretto con moto grazioso, alors que le mouvement central n'a pas été instrumenté, et n'a jamais été joué. 

Du vivant de Szymanowski, la symphonie n'a été présentée qu'une seule fois le 26 mars 1909 à Varsovie, sous la direction de Grzegorz Fitelberg. La seconde exécution - toujours avec le même chef - n'a eu lieu qu'après la mort de Szymanowski, le 6 octobre 1938 à la Radio polonaise à Varsovie.

Szymanowski n'aimait pas cette Symphonie. Dans une lettre à A. Klechniowska, en date du 11 juillet 1906, il écrit : « elle s'est révélée être une sorte de monstre orchestral à la fois contrapuntique et harmonique ».

Je trouve Szymanowski un peu sévère envers lui-même car cette symphonie romantique a de beaux élans. De plus, son orchestration est intéressante et ménage par moments un mystère que l'on retrouvera magnifié dans des œuvres ultérieures.

J'ai sélectionné la version dirigée par Karol Stryja à la tête de l'Orchestre Philharmonique de l'Etat Polonais (Katowice). La symphonie dure environ 20 minutes.





Seconde Période: 1914-1922


1914 - Chants d'Amour de Hafiz Op. 26




Szymanowski écrit initialement 6 mélodies pour voix et piano sur des textes d'un poète perse du XIVe siècle, Hafiz de Shiraz. Il aime tellement la poésie de Hafiz, qu'il décide d'orchestrer 3 des 6 poèmes et d'en ajouter 5 nouveaux. L'œuvre devient donc les "Chants d'Amour de Hafiz" pour voix et orchestre.

Les "Chants d'Amour de Hafiz" marquent la transition de sa période néoromantique, dans la lignée de Wagner et Strauss, vers sa deuxième période marquée par l'influence de l'orient.

Les poèmes ont été traduits en allemand par Hans Bethge, qui avait également traduit les poèmes chinois du "Chant de la Terre" que Gustav Mahler a mis en musique.

Les principaux thèmes de ces poèmes sont l'amour, le vin, la beauté physique, l'ivresse et la mort.

Les textes sont parfois chantés en polonais. C'est le cas dans la version dirigée par Karol Stryja, et interprétée par le ténor Ryszard Minkiewicz.

Voici la version audio d'une première moitié de l'œuvre.



J'ai également sélectionné dans l'album choisi un air fameux de Szymanowski, l'air de Roxana extrait de son opéra le "Roi Roger". L'air est chanté par la soprano Barbara Zagórzanka.





1915 - Chants de la Princesse des contes de fées Op. 31




On retrouve sur cet album à peu près les mêmes œuvres que celles de l'album précédant. La principale différence est que toutes les œuvres sont ici interprétées par des voix féminines.

Ici on trouve, il me semble, la meilleure version des "Chants de la Princesse des contes de fées", interprétés par la soprano Isabella Klosinska, accompagnée par l'Orchestre de l'Opéra d'Etat Polonais dirigé par Robert Satanowski.

Szymanowski a mis en musique trois poèmes de sa sœur Zofia Szymanowska. On retrouve dans sa musique des thèmes anciens et orientaux, et une influence de l'impressionnisme musical.

Il s'agit d'une de mes œuvres préférées du compositeur. On remarquera au passage la superbe pochette illustrée par le tableau "Les Vierges" de Gustav Klimt.

La musique influencée par l'orient de Szymanowski se caractérise par une mélodie colorature qui reflète l'émotion de la voix, des séquences chromatiques (imitant les micro-intervalles), des basses mélodiques, harmoniques et rythmiques, différentes percussions et, finalement, ses qualités expressives d'extase, de ferveur et de passion, qui sont l'essence de l'art perse.

Voici ces 3 poèmes.


1. La Lune solitaire. Dans ce morceau on appréciera notamment les vocalises de la chanteuse.



2. Le Rossignol. Ici l'évocation de l'oiseau qui virevolte n'est pas sans faire penser à "L'oiseau de feu" de Stravinsky.




3. La Danse. Dans ce dernier morceau, on retrouve de magnifiques vocalises.





1915 - Métopes Op. 29




En 1914, le compositeur se réfugie dans son village natal en Ukraine et y reste jusqu'à la Révolution Russe. Il revient d'un long séjour en Europe, en Sicile et en Afrique du nord, où il puise son inspiration pour les œuvres de ces années. 

Son style s'approche alors de l'impressionnisme debussyste et inaugure une série de musique à programme avec ses Métopes Op.29 pour piano, ses Mythes Op.30 pour violon et piano, et ses Masques Op.34 pour piano, ces trois œuvres formant une sorte de trilogie méditerranéenne, où prédomine l'influence de légendes de la Grèce antique.

Les Métopes, voilà un titre bien étrange. La définition de métope est la suivante: une métope est un panneau architectural de forme rectangulaire, le plus souvent décoré de reliefs. Elle est située au-dessus de l'architrave, en alternance avec les triglyphes (dans l'ordre dorique). L'ensemble forme une frise.

Les Métopes du compositeur sont inspirées de celles du temple de Sélinonte, situé sur la côte sud de la Sicile, qui sont conservées au musée de Palerme, et relatent trois épisodes de l'Odyssée d'Homère.

Elles se composent de trois pièces dont l'exécution dure environ vingt minutes :
  1. L'île des sirènes
  2. Calypso
  3. Nausicaa
J'ai sélectionné la version interprétée par le pianiste polonais Piotr Anderszewski.

Voici le premier mouvement, "L'île des sirènes".





1915 - Mythes Op. 30




Composée en 1915 à Zarudzie (Ukraine) et dédiée à son épouse Sophie, cette œuvre est jouée le 21 novembre 1921 à Budapest avec Joseph Szigeti au violon et Béla Bartók au piano.

Il s'agit de la seconde œuvre de cette période méditerranéenne et impressionniste.

Le caractère de cette musique est nettement slave, notamment dans le premier morceau. La pièce est en trois parties.
  1. La Fontaine d'Aréthuse (Aréthuse est le nom d'une nymphe), un morceau plein de mélancolie où se lit aussi l'influence de Chopin, Scriabine et Ravel,
  2. Narcisse, est marqué par un bithématisme et un lyrisme plus net, 
  3. Dryades et Pan, le finale, oppose la danse des Dryades et le personnage de Pan, satyre perturbateur dont la flûte affole et disperse ces dernières.
La version de référence est celle d'Alina Ibragimova au violon et Cédric Tiberghien au piano. Cet album a d'ailleurs été récompensé par un diapason d'or.

Sous Youtube, j'ai choisi la version interprétée par Diana Tischchenko au violon et Joachim Carr au piano.





1915-1916 - Masques Op. 34




L'œuvre "Masques" constitue un des sommets des pièces pour piano de Szymanowski. La partition est influencée par des compositeurs comme Stravinsky, Scriabine ou Debussy.

Les atmosphères sont vives et les textures diaprées, on y sent encore l'apport de l'exotisme méditerranéen.

La pièce est en 3 parties et dure environ 23 minutes.

Quel pianiste plus talentueux que le polonais Krystian Zimerman, pour mettre en valeur cette œuvre magnifique et virtuose ?

La première partie s'intitule "Shéhérazade", et Szymanowski nous décrit l'héroïne avec toute sa sensualité.



La second partie, "Tantris le bouffon", est basée sur la pièce d'Ernst Hardt qui a subverti Tristan et Isolde. Il décrit un Tristan (appelé Tantris) se déguisant en bouffon afin de rencontrer Isolde. La musique a l'impact d'un "Pétrouchka" de Stravinsky.



La troisième et dernière partie, "Sérénade de Don Juan", se moque du séducteur qui tente désespérément d'accorder sa guitare.





1916 - Symphonie No. 3 Op. 27 "Le Chant de la Nuit"



La symphonie No. 3 "Le Chant de la Nuit" est sans conteste l'œuvre la plus célèbre de Szymanowski et son chef-d'œuvre absolu. Si vous découvrez ce compositeur, je vous recommande de commencer par l'écoute de cette œuvre fantastique.

Il s'agit d'une symphonie pour ténor et chœur. Elle met en musique des poèmes du XIIIe siècle du poète persan Jalâl ul Dîn Rûmi, traduits en polonais par Tadeusz Micinski.

Szymanowski métamorphose en musique cette poésie nocturne et érotique, par une orchestration chamarrée, luxuriante et mystérieuse, et une utilisation phénoménale du chœur.

La symphonie est en 3 mouvements:
  1. Moderato assai
  2. Vivace, scherzando
  3. Largo
Son exécution dure à peu près vingt-cinq minutes.

Le premier mouvement évoque la supplique de Roumi à sa bien-aimée, lui demandant de ne pas dormir toute la nuit. 

Il est suivi par un exotique scherzo, imprégné de danse, dans lequel le chœur sans paroles enrichit la texture avec des harmonies lumineuses. 

Le mouvement lent conclusif évoque l'union avec la bien-aimée, confondue avec la divinité. Il débute par un passage très dépouillé et passe par des culminations successives d'un extrême raffinement orchestral, mettant notamment en avant les solos pour violon, les bois et percussion.

Au disque, je recommande la version dirigée par Antal Dorati, avec The Kenneth Jewell Chorale et le Detroit Symphony Orchestra. Le ténor est Ryszard Karczykowski. On est littéralement envoûté par l'orchestre et le chœur.

A noter qu'il existe une version pour soprano et chœur qui n'est pas inintéressante, avec Stefania Woytowicz (soprano) dirigée par Tadeusz Strugala. (L'album qui contient cette version fait d'ailleurs partie de ma sélection, voir plus loin l'album sélectionné pour le Stabat Mater).

Sous Youtube on trouve une version qui, pour moi, se hisse au même niveau de qualité. Il s'agit de la version dirigée par Jacek Kaspszyk à la tête du Warsaw Philharmonic Orchestra & Choir et Rafal Bartminski, ténor.





1916 - Concerto pour violon No. 1 Op. 35



Le Concerto pour violon No. 1 op. 35 de Karol Szymanowski a été composé en 1916, alors que le compositeur résidait à Zarudzie, en Ukraine.

Paweł Kochański, violoniste et ami de Szymanowski, le conseilla sur la technique délicate du violon lors de la composition de ce concerto, d'une grande virtuosité, et il en écrivit plus tard la cadence. L'œuvre lui est dédiée.

Ce concerto est sans doute inspiré par un poème de Tadeusz Miciński intitulé "Noc Majowa". Il privilégie une atmosphère de rêve féerique, avec une musique somptueuse et extatique. 

D'une grande complexité, il exploite toute l'étendue de l'instrument, mettant en particulier en avant le lyrisme du registre le plus aigu, auquel répondent les bois aigus colorés par diverses percussions (célesta, glockenspiel), auxquelles s'ajoutent la harpe et le piano. 

On y entend des influences de Scriabine et Stravinsky, mais l'intensité hallucinatoire de la musique, de même que la forme en un seul mouvement sont particulières à Szymanowski.

Il est créé le 1er novembre 1922 à Varsovie, avec pour soliste Józef Ozimiński. C'est depuis une des œuvres les plus populaires du compositeur. Dans l'esprit, il est assez proche de la Symphonie No. 3.

Sa durée d'exécution est d'environ 25 minutes.

Au disque, j'ai choisi la version avec Konstanty Kulka au violon, le Polish Radio National Symphony Orchestra est dirigé par Jerzy Maksymiuk.

En outre, ce double album constitue une superbe introduction à la musique de Szymanowski car il offre un panorama complet. Il contient: les 2 concertos pour violon, la symphonie concertante No. 4, la symphonie No. 3, les Litanies à la vierge Marie et le Stabat Mater.

Sous Youtube, je vous propose la version interprétée par Isabelle Faust, le NHK Symphony Orchestra est dirigé par Masaru Kumakura.





Troisième Période: 1922-1934


1925-1926 - Stabat Mater Op. 53



Szymanowski composa ce Stabat Mater à la demande de Bronislaw Krystall, mélomane et bienfaiteur des arts, en mémoire de sa femme Izabela.

Le Stabat Mater est en 6 parties et s'appuie sur un texte en polonais qui est la traduction d'une séquence du 13ème siècle. L'œuvre a une durée d'environ 30 minutes.

Le choix de la langue était très important pour Szymanowski qui ne souhaitait pas écrire son œuvre sur un texte latin, langue sublime certes, mais totalement figée et qui avait perdu son contenu émotionnel. Au contraire, Szymanowski était convaincu que l'utilisation du polonais aurait une charge affective bien plus importante.

La création de l'œuvre, le 11 Janvier 1929, lui donna raison car ce fut un succès éclatant. Ce Stabat Mater eu un impact important sur le futur de la musique sacrée polonaise, son influence perdura et continue de se faire sentir dans des œuvres comme le Beatus Vir (1979) de Gorecki ou le Requiem polonais (1980/84) de Penderecki.

Au disque, j'ai choisi la version dirigée par Stanislaw Wislocki à la tête du Grand Orchestre Symphonique de la Radio et de la Télévision Polonaise de Katowice, avec Andrzej Hiolski (baryton) et Stefania Woytowicz (soprano), que l'on retrouve dans la Symphonie No. 3 offerte en couplage.

Je signale au passage une autre très bonne version: celle dirigée par Simon Rattle.

Sous Youtube, j'ai sélectionné la version dirigée par Markus Stenz à la tête du Radio Philharmonic Orchestra et du Netherlands Radio Choir, avec Chen Reiss (soprano), Gerhild Romberger (contralto) et Mark Stone (baryton).






1932 - Symphonie concertante No. 4 Op. 60 pour piano et orchestre





Terminons cette anthologie avec la Symphonie Concertante No. 4 qui est une des dernières œuvres achevées du compositeur. Elle est inspirée par la musique des Tatras, et on y sent également les influences de Bartok et Prokofiev.

Cette symphonie est en 3 mouvements et dure environ 27 minutes.
  1. Moderato - tempo commodo: le premier mouvement est en forme sonate, la musique est sereine et même joyeuse.
  2. Andante molto sostenuto: le mouvement démarre par une large mélodie pour flûte solo et violon solo. On assiste ensuite à un grand crescendo suivi d'un calme.
  3. Allegro non troppo, ma agitato ed ansioso: enchainé directement, le troisième mouvement contient un rythme d'oberek, une danse en rond, très vive, presque orgiaque. Ensuite une mazurka est confiée au piano.
Cette Symphonie a généralement un esprit très polonais. La forme lui donne un caractère néo-baroque qui fait penser à du Stravinsky.

Voici le troisième mouvement dans la version de Jan Krzysztof Broja (piano) accompagné par le Warsaw Philharmonic Orchestra dirigé par Antoni Wit.









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