vendredi 2 décembre 2022

Satie (Erik) - Partie 1

 

Erik Satie


Erik Satie


Éric Alfred Leslie Satie, dit Erik Satie, est un compositeur et pianiste français né à Honfleur le 17 mai 1866 et mort à Paris 14e le 1er juillet 1925.

Associé un temps au symbolisme, mais inclassable, il a été reconnu comme précurseur de plusieurs mouvements, dont le néoclassicisme, le surréalisme, le minimalisme, la musique répétitive et le théâtre de l'absurde, excusez du peu !

Erik Satie est cher à mon cœur pour plusieurs raisons: il est né à Honfleur, et c'est une ville que j'adore (je vis d'ailleurs à environ 25 kilomètres), il est mort à Paris 14e, et j'ai habité cet arrondissement pendant de nombreuses années, enfin je suis un fan absolu de ses gymnopédies. Quand je les écoute je m'imagine en train de déambuler dans les rues étroites de Honfleur, près du vieux bassin, sous un léger crachin, emprunt d'une légère mélancolie.

Erik est le fils d'une anglaise d'origine écossaise et d'un père courtier maritime normand. A la mort de sa mère en 1872, lui et son frère Conrad sont élevés par ses grands-parents paternels qui habitent Honfleur.

Lorsque la grand-mère meurt à son tour en 1878,  ils reviennent vivre chez leur père à Paris. Ce dernier s'est remarié avec une femme de dix ans son aînée, Eugénie Barnetche, professeur de piano, qui enseigne à Erik les bases de l'instrument : « L’enfant prend aussitôt en haine et la musique et le conservatoire. » Ce qui expliquera certainement sont dédain pour les règles établies et son originalité.

En 1887, il s'installe à Montmartre, et commence à composer des partitions sans barre de mesure et avec des annotations très originales. Il y fréquente de nombreux poètes ainsi que le Cabaret du Chat Noir et l'Auberge du Clou. C'est là qu'il fait la connaissance de Debussy qui deviendra son ami intime jusqu'en 1916, date à laquelle, suite à un malentendu, ils se brouillent.

Satie connaît plusieurs crises mystiques. Suite à sa rencontre avec le Sâr Josephin Péladan, il adhère à l'ordre de la Rose-Croix. Devenant leur maître de chapelle, il compose plusieurs œuvres pour la Rose-Croix. Mais, il quitte bientôt l'ordre et fonde "l'Eglise Métropolitaine d'Art et de Jésus Conducteur" dont il est le seul et unique membre. Cette église ne durera pas longtemps.

Le 18 janvier 1893, Satie se lie à l'artiste peintre Suzanne Valadon. Bien qu'il l'ait demandée en mariage en vain après leur première nuit, Valadon s'installe rue Cortot dans une chambre près de la sienne. Dans sa passion pour sa « Biqui », il rédige des notes enflammées sur « tout son être, ses beaux yeux, ses mains douces et ses pieds minuscules » et compose à son intention des Danses gothiques tandis qu'elle réalise son portrait. 

Cinq mois plus tard, le 20 juin, ils rompent. Cela brise Satie qui ressent "une solitude glaciale remplissant la tête de vide et le cœur de tristesse". On ne lui connaît par la suite aucune autre relation sentimentale sérieuse et avouée. 

Comme pour se punir lui-même, il compose Vexations, un thème construit à partir d'une mélodie courte, et demande à la jouer 840 fois (ce qui donne plus de 20 heures pour jouer l'œuvre intégralement!)

Sa musique n'arrivant pas à percer, il ne peut plus se permettre de vivre à Paris et à partir de 1898, il loue une modeste maison à Arcueil. 

En 1905, alors qu'il considère qu'il n'est pas pris au sérieux dans le milieu de la musique, à cause de ses (soi-disant) lacunes théoriques, il s'inscrit à la Schola Cantorum. Pendant 3 ans il y suivra des cours de contrepoint sous la direction de professeurs tels que Albert Roussel.

La notoriété lui vient enfin en 1917 lorsqu'il crée le ballet Parade pour les Ballets Russes, en collaboration avec Jean Cocteau, pour l'argument, et Pablo Picasso, pour les décors et les costumes. Les parisiens ne sont apparemment pas prêts pour cette musique qui illustre le cirque et le cabaret, et pour ces décors cubistes. Le ballet fait scandale. 

Alors que le poète Apollinaire applaudit et baptise Parade une œuvre "sur-réaliste", le critique Jean Poueigh écrit: "Sottise, banalité et ineptie dans l'orchestration de Parade, Satie manque de tout ..." Satie lui répond dans une lettre: "Monsieur, vous êtes un cul! Oui … mais un cul sans Musique!" Il échappe de peu à la prison pour diffamation.

Alors que le scandale de Parade lui fait de la publicité, Satie devient le chef de file de l'école d'Arcueil et aura une influence notable sur le groupe de Six. Il se lie aussi vite qu'il se brouille avec les plus grands artistes contemporains: Debussy, Ravel, Poulenc ou Auric.

Vivant sans concession, il était excentrique, égoïste, cruel, maniaque et se mettait dans d'affreuses colères contre ce qui le dérangeait. Satie mourra comme il avait vécu, solitaire et dans le plus complet dénuement.

Je conclurai sur cette citation de Satie lui-même: "Je suis venu au monde très jeune, dans un temps très vieux; m'y a-t-on envoyé pour m'amuser, me distraire, pour oublier les misères d'un au-delà dont je ne me souviens plus ?"

En ce qui concerne son œuvre, il a composé de la musique pour piano, de la musique vocale, des mélodies, des ballets et de la musique de chambre. Erik Satie avait un humour corrosif et nombre de ses compositions portent des titres originaux et amusants.

Voici en 100 titres le meilleur de Satie: 
  • les trois morceaux en forme de poire (qui sont en fait sept!), 
  • les gymnopédies, 
  • les gnossiennes, 
  • la belle excentrique, 
  • ses chansons inénarrables comme Daphénéo, La statue de bronze, ou Allons-y chochotte, 
  • sa musique de ballet et bien d'autres, 
par ses meilleurs interprètes: 
  • Katia & Marielle Labèque, 
  • Anne Queffelec, 
  • Daniel Varsano, 
  • Alexandre Tharaud, 
  • Michel Plasson 
  • et la petite nouvelle Sladjana Gajic, une pianiste serbe qui a sorti en 2020/2021 une intégrale de la musique de Satie de tout premier plan.

Satie a écrit de lui-même:
"Personnellement, je ne suis ni bon ni mauvais. J'oscille, puis-je dire. Aussi, n'ai-je jamais fait réellement de mal à quiconque - ni de bien, au surplus. Toutefois, j'ai beaucoup d'ennemis - de fidèles ennemis, naturellement. Pourquoi ? Cela tient à ce que, pour la plupart, ils ne me connaissent pas - ou ne me connaissent que de seconde main, par ouï-dire (des mensonges plus que menteurs), en somme. L'homme ne peut être parfait. Je ne leur en veux nullement: ils sont les premières victimes de leur inconscience et de leur manque de perspicacité… Pauvre gens!... Ainsi, les plains-je. Passons … je reviendrai sur ce sujet."

Cette playlist a donc pour vocation de vous faire connaître et apprécier à sa juste valeur le facétieux et ironique Erik Satie.

Voici les liens vers la playlist.

Spotify:
Qobuz:
Apple Music:
Deezer:


J'ai également choisi de vous présenter Satie en 10 albums incontournables. Comme j'ai sélectionné de très nombreux extraits parmi ces albums, l'article sera scindé en deux parties.

A noter également que parmi les albums choisis, notamment ceux concernant la musique pour piano, on trouvera de nombreuses redondances - les mêmes œuvres apparaissent dans plusieurs albums. Cela est fréquent avec Satie, en particulier, pour les gymnopédies et les gnossiennes qui sont mises à toutes les sauces!



Œuvres pour piano - Daniel Varsano




L'album de Daniel Varsano est certainement mon album préféré de Satie et celui qui m'accompagne depuis le plus longtemps. Je n'ai jamais apprécié quand les œuvres de Satie - notamment les gymnopédies et les gnossiennes - étaient jouées sur un tempo trop lent. Ce n'est pas le cas ici et je pense que Daniel Varsano nous livre ces œuvres dans un tempo parfait.

Je vous propose de commencer par les pièces les plus célèbres et les plus jouées de Satie: les Gymnopédies.

Les Trois Gymnopédies sont une série de trois variantes de valses lentes impressionnistes pour piano solo, composées et publiées en 1888 à Paris. Elles sont inspirées du roman historique Salammbô (1862) de Gustave Flaubert. Les Gymnopédies sont des danses rituelles exécutées à Sparte lors de fêtes religieuses du temps de la Grèce antique et signifient littéralement "fêtes des enfants nus".

Il s'agit de pièces répétitives et éthérées basées, à la main gauche, sur un balancement de deux accords avec une septième majeure. Ces pièces préfigurent déjà le jazz modal d'artistes tels que Miles Davis ou Bill Evans (écoutez "Peace Piece" et vous verrez ce que Bill Evans doit à Satie).

Voici la Gymnopédie No. 1.



La Gymnopédie No. 2.



La Gymnopédie No. 3.



Comme il existe assez peu de vidéos live sur des pièces de Satie, je vous propose celle-ci où la Gymnopédie No. 1 est interprétée par Khatia Buniatishvili.




En 1913, Satie compose les Croquis et Agaceries d'un Gros Bonhomme en bois. Ces pièces font partie de celles avec des titres et sous-titres humoristiques.

Le recueil, d'une durée moyenne d'exécution de quatre minutes trente environ, comprend trois mouvements.

Voici, Tyrolienne turque — Avec précaution et lent, dédié à Mademoiselle Elvira Viñes Soto.




Danse maigre (à la manière de ces messieurs) — Assez lent, si vous le voulez bien, dédié à Monsieur Hernando Viñes Soto.



Españaña — Sorte de valse, dédié à Mademoiselle Claude Emma Debussy



Suite musicale composée entre le 30 juin 1913 et le 4 juillet 1913, "Embryons desséchés" est une œuvre parodique, dont Satie lui-même écrit en préambule : "Cette œuvre est absolument incompréhensible, même pour moi. D'une profondeur singulière, elle m'étonne toujours. Je l'ai écrite malgré moi, poussé par le destin. Peut-être ai-je voulu faire de l'humour ? Cela ne me surprendrait pas, et serait assez dans ma manière. Toutefois, je n'aurai aucune indulgence pour ceux qui en feront fi. Qu'ils le sachent".

L’œuvre, d'une durée d'exécution de cinq minutes trente environ, comprend trois mouvements. Les animaux spécifiés dans les titres désignent différents types d'invertébrés.

1. Embryon desséché d'holothurie.



2. Embryon desséché d'edriophthalma. Ce morceau plagie la marche funèbre de Chopin.



3. Embryon desséché de podophthalma. Satie cite une sorte de thème de chasse. On remarquera comment Satie finit la pièce sur de nombreux accords répétés qui donnent un ton burlesque très humoristique.



Les "Trois Valses distinguées du précieux dégoûté" sont trois pièces pour piano composées entre le 21 et le 23 juillet 1914.

L’œuvre, d'une durée moyenne d'exécution de trois minutes environ, comprend trois mouvements:

1. Sa taille — Pas vite, dédié à Roland Manuel et daté du 21 juillet 1914.


2. Son binocle — Très lent, s'il vous plait, dédié à Mademoiselle Linette Chalupt et daté du 22 juillet 1914.



3. Ses jambes — Déterminé, dédié à René Chalupt et daté du 23 juillet 1914.



Voici, le second mouvement "Son binocle" par Alexandre Tharaud.



"Avant-dernières pensées" est une œuvre composée en 1915.  Satie la parsème d'annotations humoristiques, détournant ainsi le principe de la musique à programme.

L’œuvre, d'une durée d'exécution de trois minutes trente environ, comprend trois mouvements:

1. Idylle, dédiée à Claude Debussy.



2. Aubade, dédiée à Paul Dukas.



3. Méditation, dédiée à Albert Roussel.




On termine la sélection de cet album par la "Sonatine bureaucratique", une composition de 1917 qui parodie une sonatine de Clementi.

La partition est pleine de remarques amusantes — "texte, ubuesque et courtelinesque à la fois", dit Guy Sacre — décrivant le quotidien ennuyeux d’un fonctionnaire. Par exemple, le dernier mouvement est appelé "Vivache", au lieu de la dénomination originale "Vivace". Satie pratique aussi l'auto-dérision: le sourd muet de Basse-Bretagne, prétendument "air péruvien" qui constitue le premier thème du dernier mouvement, est de Satie lui-même.





Satie & Compagnie - Anne Queffélec



J'ai sélectionné cet album car je trouve qu'Anne Queffélec est une des meilleures interprètes de Satie et que le choix des œuvres et des compositeurs sur cet album reflète bien la musique française des contemporains de Satie. 

On y trouve des compositeurs tels que Déodat de Séverac, Poulenc, Debussy, Ravel, Hahn, Ferroud, Koechlin, Dupont et Schmitt.

On peut entendre, disséminées dans le disque, les 6 Gnossiennes de Satie.

Les Gnossiennes sont une œuvre pour piano solo en plusieurs parties d'Erik Satie composées entre juillet 1889 et janvier 1897. Elles sont inspirées de sa période impressionniste et mystique et succèdent à ses trois Gymnopédies composées en 1888. 

Le mot "gnossien" dérive du crétois Knossos ou gnossus, qui lient les Gnossiennes à Thésée, à Ariane et au Minotaure de la mythologie grecque. On ne compte plus le nombre de films et de séries qui ont utilisé les Gnossiennes de Satie.

Voici la Gnossienne No. 1 interprétée par Anne Queffélec.




La Gnossienne No. 3.




La Gnossienne No. 4.




Voici le Piccadilly, une pièce très joyeuse, composée en 1904, également présente sur cet album. (Cet pièce a ensuite été orchestrée).





Œuvres pour piano - Anne Queffélec




J'ai ensuite sélectionné cet autre album d'Anne Queffélec qui est également excellent et qui nous permet d'entendre d'autres œuvres de Satie.

Voici les Pièces Froides, divisées en deux parties: les Airs à faire fuir et les Danses de travers.

Les Pièces froides sont deux ensembles de trois pièces, notés sans barres de mesure, ni armure, ni indication de mesure. Le cahier complet, d'une durée d'exécution de dix minutes environ, comprend :

Partie I. Airs à faire fuir, dédiés à Ricardo Viñes.

1. D'une manière très particulière.



2. Modestement.



3. S'inviter.



Voici ensuite la Partie II. Danses de travers, dédiées à Madame Jules Écorcheville.

1. En y regardant à deux fois



2. Passer



3. Encore




"Poudre d'or" est une valse composée en 1901 adaptée d'esquisses de chansons pour cabaret.




Œuvres pour piano - Aldo Ciccolini



Il est difficile de parler de Satie sans évoquer le pianiste Aldo Ciccolini. On peut le considérer comme un spécialiste de Satie, il a d'ailleurs sorti l'intégrale de ses œuvres pour piano.

On retrouve sur ce double album sobrement intitulé "Œuvres pour piano" la substantifique moelle des œuvres de Satie. Je passe sur les œuvres déjà sélectionnées et je vous propose de nous concentrer sur quelques pièces spécifiquement présentes sur cet album.

"Jack in the Box" est composé à l'origine pour être une musique d'accompagnement pour une pantomime d'après un argument de Jules Depaquit, mais le spectacle n'a pas lieu. 

La partition, écrite en 1899, est ensuite déclarée perdue par Satie. Finalement retrouvée, Darius Milhaud en réalise une orchestration qui est mise en ballet par George Balanchine pour les ballets russes de Serge de Diaghilev, à l'occasion du 60e anniversaire de la naissance du musicien, en juin 1926. 

La partition de la version originale pour piano est publiée quelques années après, en 1929, chez Universal Edition.

L’œuvre, d'une durée d'exécution de six minutes environ, comprend trois mouvements, véritables "pièces de music-hall rythmées, alertes et enthousiastes":
  1. Prélude
  2. Entr'acte
  3. Final
Voici cette pièce interprétée par Aldo Ciccolini.




Les "Préludes flasques (pour un chien)" contribuent au catalogue dit "humoristique" du compositeur. Ils sont écrits en juillet 1912.

La partition est à l'époque refusée par Eugène Demets et devra attendre 1967 avant d'être publiée, par l'éditeur Max Eschig.

L'auteur et musicien Vincent Lajoinie voit dans cette œuvre "comme une sorte d'autobiographie triste du compositeur s'identifiant à un chien". Il est d'ailleurs à noter que Satie adorait les chiens.

La pièce comprend quatre mouvements:
  1. Voix d'intérieur — Sérieusement, mais sans larmes
  2. Idylle cynique — Très affectueux, à quatre temps
  3. Chanson canine — Calme, sans lenteur
  4. Avec camaraderie

Voici une version live de ces Préludes flasques par Alphonse Cemin, Mathieu Amalric est le récitant.



"Peccadilles importunes" est un recueil de trois courtes pièces enfantines pour piano d'Erik Satie, composé en 1913.

Le cahier, d'une durée moyenne d'exécution de deux minutes trente environ, comprend trois mouvements, qui sont "comme un pense-bête mignon des fautes à ne pas commettre", ils ont des sous-titres évocateurs et amusants:
  1. Être jaloux de son camarade qui a une grosse tête — Andante
  2. Lui manger sa tartine — Lent
  3. Profiter de ce qu'il a des cors aux pieds pour lui prendre son cerceau — Un peu vif



En 1919, Satie écrit cinq Nocturnes. L'ensemble complet, d'une durée d'exécution de dix minutes environ, comprend cinq numéros, "pénétrés d'un égal caractère de mélancolie contemplative" (Alfred Cortot).

Voici le Nocturne No. 1 interprété par Aldo Ciccolini. La musique de Satie se fait parfois sérieuse.





Ainsi se termine cette première partie. Bientôt la suite ...


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