dimanche 7 juillet 2019

Chostakovitch

Dmitri Chostakovitch

Dmitri Chostakovitch


Dmitri Dmitrievitch Chostakovitch, né le 12 septembre 1906 à Saint-Pétersbourg dans l'Empire russe et mort le 9 août 1975 à Moscou en URSS, est un compositeur russe de la période soviétique. Il est l'auteur de quinze symphonies, de plusieurs concertos, d'une musique de chambre abondante, et de plusieurs opéras. Sa musique, accusée de formalisme par le pouvoir soviétique, contribue par sa force et son dramatisme souvent exacerbé à faire de Chostakovitch une figure majeure de la musique du xxe siècle.

C’est en 2012 que commence à sortir une intégrale des symphonies de Dmitri Chostakovitch par le jeune chef russe Vasily Petrenko. Ses interprétations se caractérisent par leur rigueur, leur lisibilité, leur brillance et leur sens de la narration. Aujourd’hui, je pense que c’est une des toutes meilleures interprétations de ces symphonies, avec celles d'Ievgueni Mravinsky, et de Bernard Haitink. 

Je considère que les symphonies de Chostakovitch constituent un monument de la musique classique, un peu au même titre que celles de Mahler. Chostakovitch est un compositeur qui me touche beaucoup par la tristesse de ses thèmes, mais également par son humour, très présent dans son œuvre, et parfois très grinçant. On sent qu’il est tiraillé entre sa volonté de produire une œuvre selon ses propres critères, et d’autre part la nécessité de satisfaire le pouvoir soviétique, qui regarde d’un très mauvais œil la musique dissonante ou trop moderne, qui est considérée comme une musique décadente. 

Chostakovitch vivra pendant des années dans la terreur du pouvoir stalinien, et notamment sous le joug de Jdanov, le responsable de la politique culturelle. C’est, malheureusement pour lui, la rançon de la gloire d’être devenu à 19 ans le compositeur préféré de Staline lors de l’exécution de sa Symphonie No. 1. Cela va donc obliger Chostakovitch, chaque fois qu’il a créé une œuvre un peu trop « moderne », et qu’il subit les foudres du pouvoir, à composer ensuite une œuvre respectant les canons édictés et très souvent à la gloire du pouvoir soviétique. 

Ainsi il réalise certaines œuvres plus insipides telles que "Le Chant des Forêts" ou la "Symphonie No. 12". Cette dualité a peut-être finalement permis à Chostakovitch d’exprimer sa vraie nature avec puissance et dramatisme dans des œuvres comme son opéra "Le Nez", ou bien la Symphonie No. 13 "Babi Yar" qui sont des sommets d’ironie et de sarcasme.

Je pense pouvoir dire que j’aime toutes les œuvres que j’ai entendues de Chostakovitch, en particulier ses symphonies. Néanmoins, vous trouverez ci-joint une sélection des œuvres qui m’ont le plus marqué.

De plus, je vous ai concocté une anthologie des œuvres de Chostakovitch sur les principales plateformes de streaming.
Je commence par la Symphonie No. 5 Op. 47, ma préférée. Il s’agit d’une symphonie en 4 mouvements :
  • I- Moderato : Dès les premières mesures on sent que l’on va assister à un drame. Les cordes sont tendues et les cuivres jouent dans le grave. L’ambiance est à l’introspection. Puis, apparaissent des tonnerres de timbales et des cuivres tonitruants. Le mouvement se termine dans un apaisement relatif, avec le célesta qui égrène ses notes.
  • II- Allegretto : il s’agit d’un scherzo humoristique, voire sarcastique, qui rappelle certains passages de Mahler où le grotesque côtoie le sublime.
  • III- Largo : c’est un mouvement lent qui exprime une bonne dose de désespoir.
  • IV- Allegro : il s’agit pour moi d’un des sommets de l’oeuvre de Chostakovitch, car c’est un mouvement incandescent. Les relents de désespoir sont encore présents bien que l’orchestre tente d’atteindre la lumière et l’espoir. Le milieu du mouvement est beaucoup plus calme : on y entend les cordes qui jouent dans le grave. Le tempo est ralenti avant la péroraison finale qui intervient environ deux minutes avant la fin du mouvement : le thème se fait très intense aux cordes, suivi d’un climax de tout l’orchestre, et d’un battement terrible des timbales qui laisse une des plus fortes impressions de la musique symphonique.

Une version historique qui sait traduire toute la force et l’intensité de cette partition est celle dirigée par Kirill Kondrachine à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Moscou.




Une vidéo du finale par l'excellent Vasily Petrenko:





Symphonie No. 7 Op. 60

Une autre très belle symphonie de Chostakovitch est la symphonie No. 7 Op. 60 dite « Leningrad » composée en 1941. Elle exprime principalement la résistance de la ville pendant la seconde guerre mondiale contre l’envahisseur allemand. Elle est en 4 mouvements :
  • I- Allegretto : C’est un mouvement assez long, puisqu’il fait environ 30 minutes. C’est un long crescendo, un peu à la manière du Boléro de Ravel, qui symbolise l’invasion des troupes allemandes : le même thème est répété douze fois de plus en plus fort. L’orchestre joue parfois plusieurs thèmes en contrepoint, le tout scandé par la caisse claire. Le mouvement se termine doucement avec un dernier rappel du thème principal comme en clin d’oeil.
  • II- Moderato : C’est un scherzo au caractère léger (pour du Chostakovitch!).
  • III- Adagio : Il s’agit à nouveau d’un long mouvement au caractère angoissé et douloureux. La mélodie jouée aux cordes vers la fin du mouvement est plus apaisée, avec un rien de nostalgie.
  • IV- Allegro non troppo : Le dernier mouvement est en demi-teinte. Il alterne une certaine énergie assez optimiste et des passages plus sombres et graves. Après une âpre lutte, à la fin du mouvement, l’optimisme l’emporte. Chostakovitch cite une dernière fois le thème du 1er mouvement transfiguré, et le mouvement se termine de manière triomphale.

Une version récente qui se distingue est celle dirigée par Andris Nelsons à la tête du Boston Symphony Orchestra.



La version audio:



Symphonie No. 13 "Babi Yar" Op. 113

Une des symphonies les plus marquantes de Chostakovitch est certainement sa symphonie No. 13 « Babi Yar » Op.113 composée en 1962. C’est une symphonie pour voix de basse, choeur d’hommes et orchestre sur des poèmes d’Evgueni Evtouchenko, elle est en cinq mouvements : 
  • I- Adagio – "Babi Yar" : C’est certainement un des moments les plus tragiques de la musique de Chostakovitch. Le choeur entonne un chant sinistre ponctué par des cloches, sur le massacre de Babi Yar, à Kiev en Ukraine, perpétré par les nazis en 1941, où plus de 33000 juifs furent assassinés.
  • II- Humour : transition totale avec ce deuxième mouvement très sarcastique et typique de l'humour grinçant du compositeur.
  • III- Au magasin : ce mouvement illustre les femmes russes qui font la queue devant les magasins.
  • IV – Peurs : il s’agit d’un mouvement très lent et très sombre qui exprime les peurs de soviétiques devant le pouvoir et la police politique. C’est un passage certainement très autobiographique pour Chostakovitch.
  • V- Une carrière : Le début est étrangement pastoral, joué par les flûtes. Mais cela n’est qu’une façade car il s’agit en fait d’une critique acerbe des bureaucrates : on y remarque le commentaire ironique du basson, et tout l’humour grinçant qui imprègne la musique de ce mouvement.

Bien que la prise de son soit étrangement imparfaite pour un enregistrement récent, je retiens la version sobre et terrible de Vasily Petrenko à la tête du Royal Liverpool Philharmonic Orchestra avec la basse russe Alexander Vinogradov et des membres du Royal Liverpool Philharmonic Choir.



Le mouvement intitulé "Humour" par l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège:





Symphonie No. 15 Op. 141

La dernière symphonie composée par Chostakovitch est sa symphonie No. 15 Op. 141 de 1971. Elle est en 4 mouvements : 
  • I- Allegretto : Est-ce du à ce petit thème joyeux énoncé à la flûte, aux clochettes du célesta, ou au basson goguenard ? Toujours est-il que j’ai toujours associé cette symphonie au monde de l’enfance, alors qu’il n’en est rien puisque le sujet principal de cette symphonie est la mort et la solitude. Comme quoi Chostakovitch sait bien cacher son jeu, et nous tromper par des apparences, qui en l’occurrence sont des citations – telle l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini, la présence de percussions : la caisse claire, le wood-block et les castagnettes, et les interventions répétées de fanfares de trompettes. La fin du mouvement est d’ailleurs grandiose sur une dernière citation de Guillaume Tell.
  • II- Adagio : Contraste important, ce mouvement est lent et lugubre. Il laisse toujours un grande place aux cuivres, mais dans un registre beaucoup plus austère. On entend un beau solo de violon qui exprime un certain désarroi. L’orchestration est légère, quasiment comme celle d’une symphonie de chambre, ce qui fait l’originalité de cette partition. La fin reste toujours dans un esprit lugubre et triste.
  • III- Allegretto : Il s’agit d’un court scherzo faussement léger, d’une belle facture, avec un violon ironique.
  • IV – Adagio : Ce dernier mouvement est à nouveau assez long, vraiment magnifique, avec ses citations de Wagner (Tristan et Isolde, La Walkyrie), il parle de l’inexorabilité du temps. On réentend, par moments, le thème de l’invasion de la 7ème symphonie. Le mouvement est triste, mais pas désespéré, on a connu la musique de Chostakovitch plus tragique. On entend un thème qui est mi-wagnerien, mi-mahlerien. Environ à trois minutes de la fin du mouvement, on entend un thème joué aux cors avec des interjections dissonantes, les clochettes du célesta qui évoquent à nouveau le thème de l’enfance et les castagnettes ainsi que d’autres percussions. Cela constitue un finale absolument inédit et totalement génial : une sorte de dernier pied de nez de Chostakovitch. La symphonie se termine sur un pianissimo quasi inaudible.

Je recommande la version de Vasily Petrenko extraite de son intégrale.



Une autre très belle version par Bernard Haitink:




Concerto pour violoncelle No. 1 Op. 107

L’oeuvre suivante est une oeuvre concertante : il s’agit du magnifique concerto pour violoncelle No. 1 Op.107 composé en 1959, il est en quatre mouvements. Chostakovitch l’a dédié à son ami Rostropovich.
  • I- Allegretto : Ce 1er mouvement fait preuve d’une ironie mordante et ses thèmes sont superbes.
  • II- Moderato : ce mouvement a un tempo très lent, on y décèle une sorte de désespérance. Les cordes sont jouées de manière très intense.
  • III- Cadenza : il s’agit d’un morceau pour violoncelle seul plutôt lyrique.
  • IV- Allegro con moto : il s’agit d’un mouvement rapide, presque frénétique. On y sent toujours beaucoup de sarcasme et d’ironie.

La version de référence me semble rester celle de Mstislav Rostropovich au violoncelle accompagné par le Philadelphia Orchestra dirigé par Ormandy.



Une version récente par l'admirable Sol Gabetta:




Lady Macbeth de Mtsensk

Enfin, je terminerai cette anthologie avec l’opéra le plus célèbre de Chostakovitch, mais également celui qui lui a causé le plus de tourments : « Lady Macbeth de Mtsensk » (composé en 1932). Il s’agit d’un opéra en quatre actes sur un livret d’Alexandre Preis. 

Après avoir connu un succès initial, l'œuvre déplut à Staline lorsqu'il assista à une représentation en janvier 1936. Un article non signé de la Pravda du 28 janvier 1936, intitulé « Le chaos remplace la musique », contenait une condamnation sans appel de l'opéra de Chostakovitch : « flot de sons intentionnellement discordants et confus », « chaos gauchiste remplaçant une musique naturelle, humaine », « montrant sur scène le naturalisme le plus grossier ». Il est exact que cet opéra contient des scènes assez crues, notamment une scène d’amour ponctuée de manière assez comique par les trombones et un orchestre déchaîné. 

Cet opéra fut interdit pendant environ 30 ans, après quoi Chostakovitch se résolu à remanier son opéra et à livrer une version édulcorée appelée « Katerina Ismaïlova ». C’est néanmoins la version complète qui est la plus jouée de nos jours. 

L’opéra raconte les déboires d’une jeune femme russe du XIXème siècle qui veut vivre avec son amant, Sergeï, car elle n’est pas heureuse avec son mari, et surtout ne supporte pas son beau-père, un homme autoritaire et irascible. Elle finit par empoisonner son beau-père, puis elle aide son amant à étrangler son mari. Malheureusement pour elle, les cadavres des deux hommes sont découverts. Elle, ainsi que Sergeï, sont emmenés comme bagnards en Sibérie. Pendant le trajet, Sergeï commence à dédaigner Katerina pour une autre prisonnière. L’opéra se termine de manière tragique : Katerina se précipite dans un fleuve, entraînant l’autre prisonnière avec elle. 

La musique de Chostakovitch est expressionniste et cet opéra reste son oeuvre lyrique majeure. La version retenue est celle interprétée par Galina Vishnevskaya dans le rôle de Katerina, Nicolaï Gedda dans celui de Sergeï, le London Philharmonic Orchestra étant placé sous la direction de Mstislav Rostropovich.  



Un document intéressant, une suite orchestrale d'après l'opéra de Chostakovitch:




Il est bien évident que d’autres œuvres de Chostakovitch méritent d’être écoutées, non seulement ses autres symphonies, mais également ses concertos pour piano et sa musique de chambre, en particulier son quintette pour piano et cordes Op. 57.

Si vous souhaiter approfondir votre connaissance sur le musicien je vous recommande l’excellent livre « Dimitri Chostakovith » de Bertrand Dermoncourt aux éditions Actes Sud. 

Sans oublier également le très beau film réalisé par Tony Palmer en 1987 : « Testimony : The Story of Shostakovich », avec Ben Kingsley dans le rôle de Chostakovitch. Ben Kingsley, en acteur caméléon, nous livre un Chostakovitch plus vrai que nature, la ressemblance est étonnante.

Pour les anglophones, le film original en anglais:




Enfin, je voudrais terminer avec cette anecdote : il se trouve que Chostakovitch est certainement plus connu du grand public grâce à sa Valse No. 2 extraite de la « Suite Jazz No. 2 » (que l’on a vu sur nos écrans dans une publicité pour la CNP) … mais il s’agit du Chostakovitch faussement léger des œuvres de commandes officielles du pouvoir soviétique, on est très loin du Chostakovitch dramatique.

En voici une version très originale pour cinq violoncelles:






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