lundi 8 juillet 2019

Les femmes dans la musique contemporaine

Les femmes dans la musique contemporaine


A notre époque, il y a de plus en plus de femmes compositrices, même si les hommes sont toujours largement majoritaires dans ce domaine. J'ai choisi de vous présenter quelques femmes compositrices d'aujourd'hui en me basant sur leur célébrité, ou en choisissant des œuvres contemporaines qui ont su me toucher.

De plus, j'ai préparé une playlist basée sur les œuvres de six compositrices contemporaines: Sofia Gubaidulina, Kaija Saariaho, Unsuk Chin, Edith Canat de Chizy, Elena Kats-Chernin et Camille Pepin.



Sofia Goubaïdoulina




Sofia Goubaïdoulina est une compositrice russe, née le 24 octobre 1931 à Tchistopol, en République socialiste soviétique autonome tatare, qui réside en Allemagne depuis 1991. Elle est l'auteur d'une centaine d'œuvres, relevant de différents genres : la symphonie, le concerto, la musique de chambre, les œuvres pour la scène, mais aussi la musique de film et de télévision. 

De 1954 à 1959, elle est assistante de Dmitri Chostakovitch. Sa première œuvre importante, un quintette avec piano, est créée en 1958. Entre 1969 et 1970, Sofia Goubaïdoulina fonde un studio expérimental de musique électronique. En 1981, le violoniste Gidon Kremer interprète son concerto "Offertorium" et la fait connaître du monde musical international. 

Outre Kremer, d'autres artistes ont été séduits par l'œuvre de la compositrice, tels que le Kronos Quartet, le Quatuor Arditti, les chefs d'orchestre Simon Rattle et Guennadi Rojdestvenski et les solistes Mstislav Rostropovitch et Anne-Sophie Mutter. 

Cette dernière, lors de la découverte du concerto pour violon qui lui est dédié "In tempus praesens" (2007), a dit : "Ce fut, sans exagérer, la plus grande expérience que j'ai vécu avec une partition contemporaine. Cette pièce est d'une extrême densité émotionnelle".



C'est cette dernière pièce, que je trouve envoûtante, que j'ai voulu partager avec vous. Il s'agit d'un concerto en cinq parties qui se développent dans deux directions:  d'une part une multitude de sons en éventail qui s'élèvent dans le registre aigu (symbolisant le ciel) et dans le registre grave (symbolisant l'enfer) avec les trombones, le tuba ou le contrebasson. D'autre part le retour à un son unique: l'unisson – symbole de l'unité divine. 

Suit une scène évoquant des funérailles russes orthodoxes, peinte dans des tons sombres. Vers la fin, l'extase est de nouveau atteinte avec les tubas wagnériens qui expriment un immense sentiment de révolte. 

La fin du concerto évolue dans un combat entre l'ombre (le grave) et la lumière (l'aigu). L'œuvre s'achève sur un fa dièse aigu, symbolisant le triomphe de la lumière.




Kaija Saariaho




Kaija Anneli Saariaho, née Laakkonen le 14 octobre 1952 à Helsinki, est une compositrice finlandaise. Elle apprend la musique à partir de l'âge de 6 ans, avec comme instruments le violon, le piano et l'orgue. Elle décide d'étudier sérieusement la musique en 1976, et entre à l'Académie Sibelius de Helsinki, dans la classe de Paavo Heininen. 

En 1980, Saariaho se rend à Darmstadt et y découvre l'école spectrale française, en particulier la musique de Tristan Murail et de Gérard Grisey, ce qui a été pour elle une vraie révélation. 

La musique « spectrale » tente de synthétiser à l'orchestre ou avec un ensemble instrumental des évolutions temporelles de sons plus ou moins bruités. Les compositeurs spectraux appliquent à l'écriture pour instruments traditionnels des techniques précédemment découvertes en électroacoustique comme la modulation de fréquence, la boucle de réinjection, la compression de spectres, ou la dilatation d'un son dans le temps. 

Kaija Saariaho a environ une quarantaine d'œuvres à son actif dont 4 opéras.



Afin de faire le pendant avec le concerto pour violon de Goubaïdoulina, j'ai choisi de vous faire découvrir un concerto pour violon de Saariaho, intitulé "Graal théâtre" et composé en 1995. 

Il est interprété par Gidon Kremer au violon, dirigé par Esa-Pekka Salonen à la tête du BBC Symphony Orchestra. Le monde sonore de Saariaho est déroutant et joue sur les timbres à l'infini. Beaucoup de poésie cachée sous une forme qui reste quand même assez difficile d'accès.




Unsuk Chin




Unsuk Chin, née le 14 juillet 1961 à Séoul, est une compositrice sud-coréenne de musique classique européenne, qui vit à Berlin. Chin a étudié la composition à l'université nationale de Séoul avec Sukhi Kang, puis à Hambourg de 1985 à 1988 à la Hochschule für Musik und Theater avec György Ligeti ; l'enseignement de celui-ci a fortement contribué à la définition de son propre style, beaucoup plus que l'influence coréenne qu'elle nie. 

Elle emploie des instruments traditionnels aussi bien qu'électroniques dans ses œuvres. Elle a composé un opéra "Alice in Wonderland" et plusieurs concertos. Unsuk Chin est fascinée par la voix et par la virtuosité.



J'ai été très vite impressionné par ses 3 concertos:
  • un concerto pour piano composé en 1997, 
  • un concerto pour violoncelle (2008-2009) 
  • Šu pour sheng et orchestre composé en 2009. 
Le sheng, appelé shō en japonais et autrefois nommé shenghuang, est un instrument de musique à vent à anche libre. Egalement appelé orgue à bouche chinois, il date de 2000 av. J.-C. Le titre du concerto est emprunté à la mythologie égyptienne: Šu est un symbole de l'air. L'air fait résonner le sheng. Unsuk Chin a voulu exprimer le fait que la musique elle-même est faite d'air. La sonorité du sheng donne à l'œuvre une coloration très spécifique.





La formidable Barbara Hannigan dans un extrait du "Silence des Sirènes":





Edith Canat de Chizy




Édith Canat de Chizy est une compositrice française née à Lyon le 26 mars 1950. Elle suit à Paris, outre des études d'art, d'archéologie et de philosophie à la Sorbonne, des études musicales au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris où elle obtient les prix d'harmonie, de fugue, de contrepoint, d'analyse, d'orchestration et de composition. 

Elle a été l'élève de Ivo Malec et a travaillé parallèlement l'électro-acoustique avec Guy Reibel. Elle fait en 1983 la rencontre décisive de Maurice Ohana à qui elle consacrera avec François Porcile une monographie en 2005 aux Éditions Fayard. 

Parmi ses œuvres marquantes, on notera particulièrement ses pièces vocales, ses œuvres pour cordes, notamment ses trois quatuors, et ses pièces symphoniques dont "Omen", créée en octobre 2006 par l’Orchestre National de France, "Pierre d’Eclair", créée en Mars 2011 par l’Orchestre National de Lyon, ainsi que "Over the sea", sa première œuvre avec dispositif électronique créée le 11 mai 2012. 

En 2005, elle est reçue à l'Académie des beaux-arts par François-Bernard Mâche au fauteuil de Daniel Lesur devenant ainsi la première femme compositeur à être admise à l'Institut de France. Elle enseigne la composition au conservatoire à rayonnement régional de Paris depuis 2007.



J'ai choisi, pour vous faire découvrir cette compositrice française, l'album qui regroupe les œuvres suivantes: "Pierre d'éclair" pour orchestre (2011), "Over the sea" pour trio à cordes, accordéon et dispositif électronique (2012) et "Drift" pour clarinette et orchestre (2013). 

C'est principalement une musique électro-acoustique dans laquelle on ne distingue pas de mélodie. L'intérêt principal réside pour moi, surtout dans les deux premières œuvres, dans les timbres utilisés, l'ambiance créée, et pour la première œuvre l'utilisation faite des percussions.

Une autre découverte: Irisations pour violon seul:





Elena Kats-Chernin




Elena Kats-Chernin (née le 4 novembre 1957) est une compositrice australienne. Elena Davidovna Kats-Chernin est née à Tachkent (aujourd'hui capitale de l' Ouzbékistan indépendant - mais qui faisait alors partie de l'Union soviétique). 

Elle étudie à la Yaroslavl Music School et au Gnessin State Musical College à Moscou à partir de 14 ans. 

Elle émigre en Australie en 1975 et poursuit ses études au Sydney Conservatorium of Music sous la direction de Richard Toop (composition) et Gordon Watson (piano). 

Ensuite, Kats-Chernin a étudié avec Helmut Lachenmann en Allemagne pendant 13 ans. Depuis son retour en Australie en 1994, Kats-Chernin a écrit six opéras, deux concertos pour piano et des compositions pour orchestre ou de la musique de chambre. 



Je suis tombé sous le charme de son album "Unsent love letters, meditation on Erik Satie". On y retrouve la douce et tendre mélancolie d'Erik Satie avec une touche de modernité. La musique est tonale et mélodique. 

L'interprétation de la pianiste australienne Tamara-Anna Cislowska est toute en légèreté. Un album contemporain qui sait rester un pur régal.

En extrait "Absynthe Cocktail" où comment revisiter Satie:




Même Lang Lang joue du Elena Kats-Chernin: "Eliza Aria"





Compositrices Américaines

Je vous propose un programme autour des compositrices américaines de la fin du XIXe siècle jusqu'à aujourd'hui, puisque la dernière œuvre sélectionnée date de 2022.

Voici la liste des compositrices sélectionnées:

- Amy Beach (1867-1944): compositrice et pianiste, elle fut une des premières compositrices américaines à être reconnue pour ses œuvres symphoniques. J'ai sélectionné sa Symphonie Gaélique Op. 32 (1894) et son concerto pour piano Op. 45 (1899).

- Florence Price (1887-1953): est la première femme Afro-américaine à composer de la musique classique. Son œuvre est fortement influencée par les musiques afro-américaines de l'époque, dont le negro spiritual et le jazz. Florence Price fut une compositrice particulièrement prolifique : le catalogue de ses œuvres se monte à près de trois cents numéros. On a vu ces dernières années sa discographie s'enrichir considérablement. J'ai choisi de vous présenter sa Symphonie No. 1 (1932), son concerto pour piano (1932), son quintette pour piano et cordes (1936) et sa Symphonie No. 4 (1945).

- Margaret Bonds (1913-1972): compositrice, pianiste, arrangeuse et professeure américaine. Elle fut l'une des premières compositrices et interprètes noires à être reconnues aux États-Unis, on se souvient surtout d'elle aujourd'hui pour ses arrangements populaires de spirituals afro-américains. En 1964, Bonds écrit les Montgomery Variations pour orchestre, un ensemble de sept variations programmatiques sur le negro spiritual "I Want Jesus to Walk with Me".

- Joan Tower (née en 1938): compositrice, pianiste, cheffe d'orchestre et enseignante américaine. Sa musique, influencée par son séjour en Amérique du Sud, connaît une large reconnaissance et elle remporte de nombreux prix et distinctions. En 1981, elle écrit sa première œuvre orchestrale, Sequoia, sur une commande de la Jerome Foundation, pour l'American Composers Orchestra. Sequoia est un poème symphonique qui représente structurellement un arbre géant du tronc aux aiguilles. A partir de 1987, elle compose "Fanfare for the Uncommon Woman" qui est en quelque sorte une réponse à "Fanfare for the Common Man" d'Aaron Copland. Au total, elle compose six pièces, j'ai sélectionné la cinquième pièce, composée en 1993 pour un ensemble de cuivres.

- Jennifer Higdon (née en 1962): compositrice et pédagogue, elle est certainement une des compositrices contemporaines les plus connues actuellement. En 2010, elle a reçu le prix Pulitzer de musique. Higdon a composé en 1999 Blue Cathedral, cette pièce est dédiée à la mémoire de son frère et c'est une des œuvres les plus jouées de la compositrice. Son concerto pour orchestre (2002) est une oeuvre ambitieuse en 5 mouvements, elle a parsemé sa partition de solos pour différents instruments, l'oeuvre dure environ 35 minutes. Enfin, Echo Dash (2013) est une courte pièce pour violon et piano, à laquelle la violoniste Hilary Hahn apporte tout son talent.

- Alex Shapiro (née en 1962): compositrice de musique acoustique et électroacoustique privilégiant les combinaisons d'harmonies modales et chromatiques, et mettant souvent l'accent sur une pulsation et un rythme forts. Le catalogue de Shapiro est constitué principalement d'œuvres de musique de chambre et, depuis 2008, elle a également composé plusieurs commandes pour orchestre d'harmonie, dont plusieurs incluent l'utilisation d'électronique préenregistrée. J'ai sélectionné sa Sonate pour piano (1999) et une oeuvre typique du style de la compositrice "Music for 2 Big Instruments" (2000) pour tuba et piano qui se caractérise par l'alliance très originale des timbres des deux instruments.

- Missy Mazzoli (née en 1980): compositrice, professeure et pianiste, elle est surtout connue pour ses opéras (elle a d'ailleurs reçu une commande du Metropolitan Opera) et sa musique orchestrale, elle a également composé pour la télévision et le cinéma. En 2014, elle a écrit "Dark with excessive bright", un concerto pour violon (ou contrebasse) et orchestre inspiré du Paradis Perdu de John Milton. J'ai également sélectionné "Sinfonia (for Orbiting Spheres)" (2014), une musique évocatrice du système solaire, une collection de boucles qui s'enroulent les unes autour des autres pour former une orbite plus large. C'est un morceau qui bouillonne, qui se rapproche de l'auditeur pour ensuite s'éloigner à une vitesse vertigineuse, évoquant les trajectoires fantastiques des planètes dans le cosmos.

- Jessie Montgomery (née en 1981): compositrice, chambriste et professeure de musique américaine. Ses compositions se concentrent sur la langue vernaculaire, l'improvisation et la justice sociale. À partir de 1999, Montgomery s'est impliquée dans la Sphinx Organization, une organisation à but non lucratif basée à Détroit qui soutient les jeunes joueurs d'instruments à cordes afro-américains et latino-américains. J'ai sélectionné les compositions suivantes: 

Strum (2006, révisée en 2012 pour quatuor à cordes), sur cette  œuvre la compositrice nous dit: "Dans Strum, j'ai utilisé des motifs de texture, des couches d'ostinatos rythmiques ou harmoniques qui s'enchaînent pour former un lit de sons dans lequel les mélodies peuvent entrer et sortir. Le pizzicato gratté sert de  motif de texture et de principal fondement rythmique moteur de la pièce. S'appuyant sur les expressions folkloriques américaines et l'esprit de la danse et du mouvement, la pièce a une sorte de récit qui commence par une nostalgie éphémère et se transforme en célébration extatique."

Soul Force (2015) est une œuvre symphonique en un mouvement qui tente de décrire une voix qui lutte pour se faire entendre malgré les chaînes de l'oppression. La musique prend la forme d'une marche qui commence par une seule voix et qui s'enfle à mesure qu'elle s'élève vers un but triomphal. La pièce s'appuie sur des éléments de styles musicaux afro-américains populaires tels que le jazz big band, le funk, le hip-hop et le R+B.

Starburst (2020) est une pièce pour orchestre à cordes. La compositrice la décrit ainsi: "Cette brève œuvre en un seul mouvement, initialement pour orchestre à cordes et arrangée et développée pour orchestre par Jannina Norpoth, est un jeu d'imagerie de couleurs musicales en évolution rapide. Des gestes explosifs sont juxtaposés à de douces mélodies éphémères dans une tentative de créer un paysage sonore multidimensionnel. Une définition courante d’une explosion d’étoiles."

Hymn for Everyone (2021), cette pièce a été écrite par la compositrice au printemps 2021 en réaction à l'épidémie de Covid-19 et au confinement qui a suivi. Un hymne et une méditation censés agir comme une libération.

Rounds (2022) pour piano solo et orchestre à cordes s'inspire des images et des thèmes du poème épique de TS Eliot, Four Quartets. Structurellement, la compositrice décrit cette oeuvre comme un rondo, dans un rondo, dans un rondo. Elle explique que la partition joue sur un effet et l'effet opposé, cela l'amène à explorer des possibilités gestuelles musicales – action et réaction, obscurité et lumière, stagnation et rapidité.

Je vous ai concocté une playlist basée sur ma sélection.

Voici les liens vers la playlist.

Spotify:
Qobuz:
Apple Music:
Deezer:
















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